Espace Vers
J'essaye d'être discret par rapport à la musique que je
produit et je ne suis pas toujours sûr que les textes aient obligatoirement une incidence directe sur mon
jeu. C'est en fait les puissances sonores qui sont au coeur des textes qui me touchent.
Ossip Mandelstan - photo www.actessud.com
J'ai récemment visité, avec une amie, l'exposition de Anselm Kieffer au grand Palais ou j'ai
trouvé dans la boutique un des livres sur la poésie de Ossip MANDELSTAM ( il se trouve qu'à la maison il y
en a aussi) .
Cela a été l'élément qui a déclenché la
démarche de proposer ces quelques poèmes.
D'autre part, il est vrai que j'aime lire, mais souvent aussi j'ai du mal à lire de la
poésie ou des textes plus difficiles.
Grâce à Murray Schafer qui est à l'origine du projet contenu dans son livre le
"Paysage Sonore" qui est comme le dit le sous titre, en rapport à
"toute l'histoire de notre environnement sonore à travers les âges"
m'a éduqué à une écoute intérieur des textes comportant des descriptions
sonores.
Aussi, à ma connaissance, la littérature
décrit beaucoup plus des images visuelles, que les aspects sonores. Il
existe le solfège traditionnel qui a
bien sûr évolué, il essaye de décrire le
plus de paramètres sonores et aujourd'hui, les support comme le CD semblent retransmettent assez fidèlement tout ce qui est audible. A ma connaissance, je pense qu'il y a peu de
choses écrites qui tendrait à consigner
les sons entendus et qui tendrais à être un équivalant de la précision de l'enregistrement.
Il m'arrive d'écrire des textes qui tentent de décrire même de manière sommaire
cette problématique. Les textes d'Ossip MANDELSTAM que je propose sont une invitation à partager ce type d' écoute.
le son étouffé, indécis,
Du fruit qui tombe de sa branche,
Dans l'incessante mélodie
des forêts au profond silence.....
Ossip MANDELSTAM déploie en peu de vers une grande précision
de l'écoute et c'est ainsi que je l'interprète :
Dans le premier et
deuxième vers il y a une focalisation sur un son unique produit par la chute du fruit, le mot "étouffé "
suggère peut-être que le fruit tombe sur quelque chose qui certainement altère
le choc au sol ; d'autre part le mot "indécis " peut vouloir donner une indications d'indétermination donc une
hauteur difficilement identifiable.
Dans le troisième et la première partie du quatrième vers "l'incessante mélodie/des
forêts" le contraste est saisissant ; en effet il y a dans ce deuxième plan sonore foisonnant, des hauteurs, des rythmes et logiquement de
timbres contrastées (des oiseaux chanteurs
à la belle saison)
Dans la deuxième partie du quatrième vers "au profond silence..... " donne certainement une perspective
réverbérante d'abord par l'utilisation du mot "profond" puis en
rajoutant ces trois petits points "point d'orgue" qui prolongent les
sons dans un espace infini résonnant que nous pouvons suivre aussi longtemps
que nous le désirons, et l' inaudibilité nous gagnant, nous ramène à la réalité de la condition du
lecteur c'est à dire le lien physique qui nous lie au livre
À la lecture du poème d'Ossip MANDELSTAM nous découvrons qu'il utilise le temps de la lecture au temps sonore. Il met en scène le
petit personnage sonore du fruit puis
son contraste multicolore mélodique Cette incessante mélodie emporte avec elle
ce pauvre son dans l'espace profond, des forêts aux beau jours, qui se prolonge
jusqu'au silence sans fin et peut-être sans durée mesurable.
A la maison j'ai lu
d'autres poèmes qu'il a écrit au goulag comme celui ci :
Poste de TSF, ma TSF
Je lui revaudrai ces nuits de
Voronej :
Pétillements d'un vin d'Aï
Klaxons, Place Rouge la nuit...
Eh bien le métro ?.. Silence, cache
en toi-même...
Ne demande pas comment enflent les
bourgeons...
Et vous carillons du Kremlin,
Verbe de l'étendue ramassée en un
point..
J'y ai découvert une
richesse sonore avec différentes type
d'écoute décrits :
-écoute fine proche
du silence "Pétillements d'un vin d'Aï ",
-forme ouverte quand il parle de sa radio "Poste de TSF, ma TSF !" cela peut être une chanson des
personnages qui parlent des informations de la musique classique,
- sons mis en espace "Klaxons, Place Rouge la
nuit...",
-écoute intérieure "Eh bien le métro ?.. Silence, cache
en toi-même..."Ne demande pas comment enflent les bourgeons...
Puis quelque chose de particulier dans ces deux vers "Et vous carillons du
Kremlin,/Verbe de l'étendue ramassée en un point..." le poète s'adresse directement aux carillons du kremlin "verbe de l'étendue" nous fait
entendre ce " verbe de l'étendue " multitudes de cloches dans une
place immense aux murs réverbérants et aux multiples échos supposés. "ramassée en un point" nous fait redéployer à l'envers le processus de projection sonore pour en
localiser la source.
Tout ce ci se passe sans sons audibles sinon que ceux
intérieurs entendus qui se déploient dans un temps personnel pouvant être aussi
partagé.